Aller au contenu
 

Chocolat (clown)

Chocolat, à l’origine RafaellN 1, pour l’état civil français (acte de décès) Rafaël Padilla1, né vers 1867 à Cuba et mort le à Bordeaux, est un artiste de cirque spécialisé dans le rôle de l’auguste, notamment dans le cadre du duo « Foottit et Chocolat » qu’il a formé pendant des années avec le clown blanc britannique George Foottit (1864-1921).

Star « exotique » du monde du spectacle français de la Belle Époque, cet artiste noir a été largement oublié après sa mort, si on excepte l’expression qui lui a survécu « Je suis Chocolat ! », c’est-à-dire : « Je me suis fait avoir ! ». Il a été remis en lumière à partir des années 2010 grâce à différents travaux, notamment Chocolat. La véritable histoire d’un homme sans nom, de l’historien Gérard Noiriel2. 

Origines familiales et état civil

Rafael, prénom espagnol parfois francisé en Raphaël6, est issu d’une famille d’esclaves d’origine africaine de Cuba, alors colonie espagnole, où l’esclavage n’a été aboli qu’en 1886.

Du fait de son statut d’esclave à la naissance, son nom de famille, sa date et son lieu de naissance ne sont pas connus avec précision, les esclaves n’étant pas enregistrés par l’état civil public7. Il naît entre 1865 et 18686, peut-être à La Havane6.

Différents patronymes lui ont été attribués ultérieurement8 :

 

Adolescence : de La Havane à Bilbao

Ses parents, esclaves dans une plantation, s’en évadent en 1878 ; ils laissent leur fils, âgé d’environ 10 ans, à la garde d’une vieille Cubaine dans un quartier misérable de La Havane21. Mais cette dernière le vend pour 18 onces, l’équivalent de quatre mois de salaire d’un fonctionnaire à la Havane, comme garçon de ferme à la mère d’un négociant espagnol de la région de Bilbao. Rafaell accompagne donc sa maîtresse en Espagne, où l’esclavage est sur le point d’être aboli (30 janvier 1880).

 Durant son séjour au Pays basque, alors qu’il a 14 ans (vers 1882), des paysans imaginent de le blanchir en le lavant avec une brosse à chevaux. Il s’enfuit et vit ensuite de divers métiers22 dans les villes de la région : chanteur de rue, groom, mineur, docker.

Débuts dans le monde du spectacle

Lorsque le clown blanc Tony Grice découvre Rafael, il est débardeur (docker) sur les quais de Bilbao13. D’après Foottit, il aurait sollicité Grice à la fin de son spectacle de cirque, auquel il avait assisté enthousiasmé, afin de devenir son aide17. Impressionné par son adresse à transporter des bagages, sa force physique et ses talents de danseur, il en fait d’abord son domestique et homme à tout faire puis son partenaire dans certains de ses numéros, Chocolat jouant le rôle de cascadeur20. Il se fait d’abord remarquer dans un numéro où il chevauche une mule incontrôlable, finissant toujours par l’expulser hors de la piste23.

Arrivé au Nouveau Cirque de Joseph Oller à Paris en octobre 1886 au moment où l’industrie des loisirs connaît un essor très rapide sur fond d’intense cosmopolitisme, le duo conquiert le public de notables de la capitale. C’est à cette époque que Grice lui donne le nom de scène Chocolat (les noirs étant appelés à cette époque Bamboula ou Chocolat)24. Leur association tourne court en 1888. Henri Agoust, régisseur du Nouveau Cirque, voit en Chocolat un mime et un danseur original, si bien qu’il l’engage pour être la vedette d’une pantomime nautique. Rafael connaît ensuite un succès individuel avec son premier spectacle, « La noce de Chocolat »25. Il multiplie les spectacles pendant cinq ans, faisant notamment équipe avec les clowns Pierantoni, Saltamontes, Kestern et plus particulièrement Gerónimo Medrano dit Boum-Boum21,26. C’est à cette époque qu’il rencontre la femme de sa vie, secrétaire d’origine picarde, Marie Hecquet27(épouse Grimaldi) qui a déjà 2 enfants, Eugène et Suzanne28. Marie divorce en 1895 pour refaire sa vie avec Rafael qui élève ses enfants comme les siens et qui deviennent des artistes de cirque21.

Foottit et Chocolat

En 1895, le directeur du Nouveau Cirque, Raoul Donval, forme un nouveau duo. Il associe Chocolat avec un clown britannique, George Foottit (1864-1921). Mais ce dernier prétend qu’il se seraient trouvés tous deux sur la piste de ce cirque dès sa séparation d’avec Grice en 1888 et que c’est en l’interpellant alors qu’il ne se souvenait pas encore de son prénom, qu’il lui aurait donné le nom de Chocolat, à la place de celui qui était alors devenu « Négro » voire « El Negro ».

« La conséquence immédiate de ce geste automatique fut que le négro alla s’étaler au beau milieu du tapis de la piste.
– Prenez garde, m’écriai-je, vous allez vous casser « un » tablette… Chocolat !
Le mot fit rire, et le nom lui resta17. »

Le duo comique fait équipe pendant une quinzaine d’années, popularisant la comédie clownesque29, notamment avec le sketch de l’entrée burlesque intitulée « Guillaume Tell »30. Tous deux connaissent un grand succès en imposant un duo comique entre un clown blanc autoritaire et un auguste noir souffre-douleur qui, par ses « ahurissements », cristallise le racisme du parterre31, ce qui n’empêche pas le public de rire de ses outrances et d’admirer son agilité athlétique32. Ce comique qui repose pour beaucoup sur la « comédie des claques » fait de Chocolat un personnage conforme à l’iconographie coloniale et aux préjugés racistes de cette époque (le bamboula de service), personnage qui devient progressivement le stéréotype du noir souffre-douleur niais, puéril et bon enfant33. Chocolat a cependant combattu ce stéréotype de noir soumis en diversifiant constamment ses compétences et une observation attentive des sketchs montre un personnage pas seulement cantonné aux rôles du soumis22.

« Ce qui était beau, c’était le cirque ; alors il y avait Foottit et Chocolat ; Foottit qui était comme une duchesse folle et Chocolat, le nègre qui recevait des claques. » Jean Cocteau

L’expression « je suis chocolat », signifiant « je suis berné », a été popularisée par les dialogues de leur numéro34,35.

Le duo innove en introduisant des dialogues dans leurs sketches, comme dans Deux bouts de bois36, créé en 190137.

En 1905, leur contrat au Nouveau Cirque n’est pas renouvelé. Certains y voient l’effet de l’affaire Dreyfus qui aurait eu pour conséquence de politiser les questions raciales38. On s’interroge cependant car il y a à cette époque des hommes politiques noirs et métissés représentant les vieilles colonies. Leur carrière commune connaît alors son apogée aux Folies Bergère puis ils commencent à être démodés face à une génération d’artistes noirs américains qui apportent le cake-walk.

En 1909, George et Rafael sont de retour au Nouveau Cirque avec Chocolat aviateur d’Henry Moreau39,40. La première a lieu le 39 et reçoit un accueil favorable de la part du public40. Mais le , dans un article de l’écrivain et journaliste Pierre Mille, Le Temps annonce par erreur la mort du clown Chocolat41. Dès le lendemain, Le Temps redresse son erreur et publie la lettre que Rafael lui a adressée42,43. Curieusement datée du 42, son texte est le suivant42 :

« Monsieur,
« le diresteur ma lut dan votre journal que monsieu Mile, l’intelijean journalise a ecri que je suis more come Auguste.
« Je vous pri de dire que je suis vivan, et que je joue chaque soir Chocolat aviateur au Nouveau Cirque.
« Vous pouvez ajouté que je nai pas même blanchit.
« Je vous pri dacepté mon respét.
CHOCOLAT
Je vous prie de rectifié car ça me fait tor.  Chocolat.

Foottit et Chocolat se séparent fin 1910, lorsqu’André Antoine, directeur de l’Odéon, engage Foottit pour interpréter le rôle du clown de Roméo et Juliette de William Shakespeare44. Ils annoncent leur séparation sur scène : « Moi aller jouer Roméo à l’Odéon ! », dit Foottit à Chocolat qui réplique « Alors, moi jouer Othello à la Comédie-Française »44.

Après la séparation

Après leur séparation, Foottit et Chocolat poursuivent chacun, sans grand succès, une carrière en solo. Chocolat court après les cachets, il essaye alors une carrière d’acteur et sollicite le directeur de théâtre Firmin Gémier pour jouer le rôle principal dans Moïse, pochade d’Edmond Guiraud en 1911 au Théâtre Antoine mais il maîtrise mal le français et il lui est impossible de dire de longs textes. Toujours en 1911, il se produit au cirque de Paris dans la Revue burlesque, dont Foottit est l’auteur : Chocolat y parodie la Belle Otero45. Il revient au cirque comme clown avec son fils adoptif Eugène Grimaldi (1891-1934), dans Tablette et Chocolat, en 1912. Eugène obtient un certain succès comme clown blanc dans les années 1920 et joue les succès de son père avec le fils de George Foottit en 1921. Chocolat est à cette époque le premier clown à venir distraire les enfants dans les hôpitaux, créant le concept de thérapie par le rire46,25.

Chocolat sombre dans l’alcoolisme et la dépression à la suite de la mort de sa fille de la tuberculose à 19 ans. Il finit sa vie dans la misère à 49 ans (en 1917) en travaillant dans la troupe des cirques Rancy. Alors qu’il est en tournée à Bordeaux, il meurt subitement15 le , vers 10 h 30 du matin, dans un petit hôtel du quartier Mériadeckau no 43 de la rue Saint-Sernin19 et est inhumé en pleine terre47 dans le carré des indigents du cimetière protestant de Bordeaux, carré M, rangée 7, numéro 235 (ces pleines terres étaient conservées pendant quinze ans puis concédées à nouveau). C’est au lendemain de sa mort que l’employé de l’état civil de Bordeaux inscrit le patronyme « Padilla » dans l’acte de décès7.

« Vous souvenez-vous de « Chocolat », ce brave clown qui fit pendant si longtemps les délices des habitués du Nouveau Cirque ? Et bien ! Chocolat est mort ! Il est mort subitement à Bordeaux où il était en représentation au cirque Rancy. Il n’était plus de la première jeunesse – en tant que clown – puisqu’il venait de dépasser la cinquantaine, mais il avait encore son public qui l’adorait. Chocolat n’était pas Chocolat ; nous voulons dire que Chocolat n’était pas le vrai nom de Chocolat. Il s’appelait Patodos et était originaire de la Havane15. »