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La notice wikipédia consultée le 10.02.2023

Le clown Chocolat dans l’encyclopédie Wikipedia

L’encyclopédie Wikipedia, qui fournit fréquemment des notices fiables et bien informées, en a consacré une au clown Chocolat qui accumule les erreurs, les approximations fantaisistes et les emprunts confinant parfois au plagiat.

Une manière correcte et respectueuse de procéder aurait été de dire d’entrée que l’essentiel de nos connaissances sur cet artiste provient des six années de recherches que Gérard Noiriel lui a consacrées et qui ont été publiées dans deux livres: Chocolat clown nègre (Bayard, 2012) et Chocolat, la véritable histoire d’un homme sans nom (Bayard, 2016).

L’auteur de cette notice aurait dû également commencer par préciser que la plupart des documents iconographiques qu’il cite dans sa notice (dessins de Toulouse-Lautrec, affiches, photographies, cartons publicitaires, etc) proviennent du travail documentaire que le collectif DAJA a réalisé; travail qui a donné lieu à une grande exposition à la « Maison des Métallos » de Paris et qui a nourri les deux spectacles que nous avons produits.

Certes, l’auteur de cette notice fait quelques références à notre travail, mais en les noyant dans un flots d’autres sources, de façon à faire croire aux lecteurs que nos six années de recherche ne seraient qu’une contribution parmi d’autres à l’histoire du clown Chocolat. Il écrit ainsi que le clown Chocolat « a été remis en lumière à partir des années 2010 grâce à différents travaux, notamment Chocolat. La véritable histoire d’un homme sans nom, de l’historien Gérard Noiriel ».

Si Wikipedia veut maintenir l’image de sérieux et d’honnêteté intellectuelle que ses fondateurs ont toujours défendue, ce « notamment » devrait être supprimé et remplacé par une phrase du genre. « Nos connaissances sur le clown Chocolat proviennent pour l’essentiel des deux livres de Gérard Noiriel et du travail documentaire du collectif DAJA. La plupart des références citées dans cette notice sont tirées de ces travaux ».

Pour montrer comment l’auteur a pu masquer ses emprunts, voici quelques uns des procédés qu’il a utilisés.

1. Occultations et plagiat

L’auteur de cette notice a repris à son compte les sources historiques que Gérard Noiriel a tirées de l’oubli, et qu’il donne en références dans ses deux livres. en faisant comme si c’était lui qui les avait trouvées. On le voit clairement dans les notes concernant la presse de l’époque mise en ligne sur le site Gallica de la BNF. Les indications concernant les dates auxquelles l’auteur a consulté ces sources montrent que la plupart d’entre elles datent de fin janvier-début février 2016, c’est-à-dire juste après la publication du deuxième livre de Gérard Noiriel (paru le 10 janvier 2016).

Sans pouvoir énumérer ici la multitude des emprunts non signalés, retenons seulement l’un de ceux qui confinent au plagiat. La notice de Wikipedia reprend mot pour mot le seul document écrit de la main du clown Chocolat que Gérard Noiriel a retrouvée dans le journal le Temps, daté du 19 novembre 1909 (cf Chocolat, la véritable histoire …, édition de poche, p. 470). Mais l’auteur de la notice fait comme si c’était lui qui avait découvert cet article.

Un autre procédé visant à masquer le fait que ce que nous savons aujourd’hui sur l’histoire du clown Chocolat vient de notre travail collectif réside dans le renvoi à des sources qui sont elles-mêmes des comptes rendus de nos livres ou de nos spectacles. C’est particulièrement évident dans la note 25, qui évoque le metteur en scène Henri Agoust et le rôle joué par Chocolat dans les hôpitaux. L’auteur fait comme si ces informations venaient d’un article publié par une revue en ligne (rue89bordeaux.com) alors qu’elles ont été directement puisées dans les travaux de Gérard Noiriel.

Le même procédé a été employé pour les références iconographiques. Alors que Gérard Noiriel a consacré tout un chapitre pour expliquer comment Chocolat était devenu le premier clown thérapeute (chapitre 23, p. 469 sq), l’auteur de la notice renvoie les lecteurs à une photographie… tirée des documents que nous avons nous-mêmes rassemblés pour notre exposition, ce qu’il « oublie » bien sûr de préciser.

Autre exemple qui illustre la façon dont l’auteur a opéré pour faire croire que sa notice résultait d’une grande diversité des sources : il cite souvent des articles qui sont en fait… des comptes rendus de nos livres ou de nos spectacles, ce qu’il « oublie » à nouveau de mentionner.

Prenons le passage qui concerne l’expression « je suis chocolat », popularisée par un sketch de Foottit et Chocolat. Dans la note 34, l’auteur rencoie à un article de presse (Boris Thiolay, « L’amer destin du clown Chocolat », L’Express, 6 juillet 2009) qui lui-même rendait compte… de notre premier spectacle sur Chocolat, auquel avait assisté ce journaliste.

Autre exemple: la note 43 (concernant le courrier envoyé au Temps par Chocolat). La notice de Wikipedia donne pour référence l’article du journaliste Éric Aeschimann (« Chocolat, le “clown nègre” dont Paris raffolait », Le Nouvel Observateur, 13 avril 2012) alors que cet article rendait compte du premier livre de Gérard Noiriel.

2. Approximations fantaisistes, affabulations, erreurs

Il est vrai que l’auteur de cette notice cite quelques références antérieures aux ouvrages de Gérard Noiriel, mais ce dernier a montré que la plupart de ces informations sur le clown Chocolat étaient fausses ou fantaisistes. Le fait que Wikipedia reproduise ces erreurs comme si c’était des vérités contribue à pérenniser des stéréotypes que notre travail visait à dissiper.

Par exemple, l’auteur de la notice affirme que les parents du petit Rafael auraient été esclaves dans une plantation et se seraient évadés en 1878, laissant leur fils, âgé d’environ 10 ans, à la garde d’une vieille Cubaine dans un quartier misérable de La Havane. Cette information est tirée du livre de Pierre Robert Levy, Les clowns et la tradition clownesque (Éditions de la Gardine, 1991). Pierre Robert Levy était amateur de cirque, mais il exerçait le métier de cadre chez Monoprix, ce qui explique qu’il n’ait pas appliqué les règles élémentaires du métier d’historien.

Gérard Noiriel a montré que ses affirmations étaient fausses car la seule indication fiable sur les origines du clown Chocolat figure dans l’ouvrage de Franc-Nohain, Les mémoires de Foottit et Chocolat (1907), qui résulte des entretiens que l’auteur a réalisés lui-même avec ces deux clowns. Rafael a reconnu à ce moment-là qu’il n’avait jamais connu ses parents et qu’il ne savait pas son âge.

Parmi les autres erreurs que Gérard Noiriel avait repérées dans les rares écrits antérieurs aux siens sur le clown Chocolat, et que l’auteur de cette notice reprend à son compte, il faut citer aussi la question des « vrais noms » du clown Chocolat.

Contrairement à ce qu’a écrit l’historienne américaine Rae Beth Gordon dans son livre Dances with Darwin, 1875-1910 : Vernacular Modernity in France (Ashgate Publishing, 2009), Rafael n’était pas originaire « d’Amérique du Sud », mais de Cuba, et il ne s’est jamais appelé « de Leïos ». Pourtant l’auteur de la notice de Wikipedia reproduit cette erreur de nom. De même qu’il donne du crédit à l’affirmation de Foottit quand celui-ci disait que le « vrai nom de Chocolat était « Patodos » ». Gérard Noiriel explique qu’on ne peut pas accorder du crédit aux propos de Foottit sur Chocolat car, comme il en était jaloux, il cherchait constamment à le discréditer. L’auteur de la notice fait référence à une interview donnée par Foottit au lendemain de la mort de Chocolat (novembre 1917). Or à cette époque, Foottit ayant sombré dans l’alcoolisme avait perdu une bonne partie de ses facultés (cf Gérard Noiriel, Chocolat la véritable…, chapitre 24, p. 511 sq). Voilà pourquoi, on ne peut pas le prendre au sérieux quand il affirme que c’est lui qui a attribué le nom de « Chocolat » à Rafael et qu’on le surnommait aussi « Patodos ». L’auteur de la notice aurait dû dire que ces propos sont faux et qu’ils illustrent le mépris racial de Foottit pour son partenaire.

Nous avons relevé d’autres erreurs qui concernent des faits. Par exemple, la note 23 de la notice Wiikipedia renvoie à un article du Figaro (« Le fabuleux destin du véritable clown Chocolat », 3 février 2016)  pour affirmer que dans le premier numéro de clown de Rafael (qu’on appelait alors « El Rubio »), il chevauchait « une mule incontrôlable ». L’enquête de Gérard Noiriel dans les archives espagnoles a montré qu’il ne s’agissait pas d’une mule mais d’un cochon et que ce ne fut pas son premier numéro. Rafael fit ses débuts sur la piste déguisé en taureau dans un numéro ou Tony Grice, le clown anglais qui l’avait engagé, jouait le toréador.

On trouve aussi dans cette notice des erreurs non référencées. Par exemple, on se demande où l’auteur a trouvé que Chocolat s’appelait  » à l’origine Rafaell » (avec deux « l »). Il se trompe également quand il affirme que « Chocolat et son fils débutent en 1912 ». En réalité, ils ont commencé à jouer ensemble dès 1908 (cf Chocolat, la véritable histoire …, p. 464).

La notice est également fautive quand elle affirme que le duo Foottit et Chocolat aurait « innové » en 1901 en introduisant des dialogues dans le sketch intitulé « Deux bouts de bois ». La référence citée à l’appui de cette affirmation dans la note 36 (l’entrée « chocolat », dans Agnès Pierron, Dictionnaire de la langue du cirque, Paris, Stock, novembre 2003) pose un sérieux problème car elle reproduit des citations d’écrivains de l’époque qui stigmatisaient Chocolat dans des termes racistes. Gérard Noiriel en a fait l’analyse, mais l’auteur de la notice « oublie » à nouveau de le préciser. Par ailleurs, l’introduction de dialogues dans les sketches de Foottit et Chocolat est antérieure à 1901. Dès le début de leur duo, ils ont joué un rôle pionnier dans l’invention de la comédie clownesque.

3. Manque d’explications

En noyant les recherches de Gérard Noiriel dans un flot disparate de références – ce qui crée la confusion entre les propos des acteurs de l’époque, ceux des journalistes et des historiens – l’auteur de cette notice prive les lecteurs des explications qui permettent de comprendre des aspects essentiels de l’histoire de cet artiste noir.

Tout d’abord, il aurait été important de montrer comment procède un historien pour faire la biographie d’une personne que l’on ne connaît publiquement que par le biais du personnage que Rafael a incarné toute sa vie. Un exemple instructif de cette démarche scientifique est donné par Gérard Noiriel dans le passage où il évoque l’arrivée de Rafael dans la ferme, près de Bilbao, où vivait la mère du colon hispano-cubain qui l’avait acheté. L’historien a appris que Rafael avait fui la ferme parce que les villageois voulait lui « blanchir » la peau, grâce à un descendant de cette famille de colons qui lui a raconté cette scène. La mémoire a ainsi été mise ici au service de l’histoire.

Le défaut d’explication qui caractérise cette notice se retrouve dans le passage qui évoque les raisons pour lesquelles le contrat de Foottit et Chocolat n’a pas été renouvelé au Nouveau Cirque. L’auteur de la notice écrit: « Certains y voient l’effet de l’affaire Dreyfus qui aurait eu pour conséquence de politiser les questions raciales ».  La note 38 précise que le mot « certains » renvoie au livre de Gérard Noiriel Chocolat clown nègre. L’auteur se permet ensuite une petite réflexion critique en écrivant: « On s’interroge cependant car il y a à cette époque des hommes politiques noirs et métissés représentant les vieilles colonies ».

L’auteur de la notice aurait trouvé des réponses à ses « interrogations » s’il avait lu le chapitre que Gérard Noiriel a consacré à cette question dans son second livre sur Chocolat. Il montre en effet que l’affaire Dreyfus a rendu plus complexe la question raciale en introduisant le début d’une distinction eentre antisémitisme et racisme. Dans ce chapitre, il s’interroge aussi sur les raisons qui peuvent expliquer pourquoi la République française, qui avait mis fin à l’esclavage en 1848, n’a pas jugé bon de donner un état civil à Rafael; à tel point qu’Eugène, son fils adoptif, était appelé « Eugène Chocolat » dans les registres de l’école primaire parisienne qu’il a fréquentées.

Comme Gérard Noiriel le souligne dans son livre, pour comprendre la marginalisation et l’oubli du clown Chocolat, il faut tenir compte à la fois de sa couleur de peau et de son milieu social. Il y avait effectivement, à cette époque, une élite noire ou métisse (on disait « mulâtre ») – dont faisait partie Severiano de Heredia, lui aussi d’origine cubaine et qui fut ministre des travaux publics – mais cette élite ne fréquentait pas les Noirs appartenant aux classes populaires.

Il serait donc nécessaire de réécrire complètement cette notice de Wikipedia. Certes, elle fournit des informations justes sur l’histoire du clown Chocolat, mais elle présente deux grands défauts qu’il faudrait corriger. Le premier tient dans un usage des sources qui ne respecte pas le travail de recherche et de documentation ayant permis de sortir cet artiste de l’oubli. Le second défaut, c’est qu’en prenant au sérieux des références qui ont été produites par des auteurs qui cherchaient à dévaloriser cet artiste noir, cette notice contribue à pérenniser quelques uns des stéréotypes dont il a été victime.